Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU s’est de nouveau réuni la semaine dernière pour discuter notamment de la publication de la base de données des entreprises engagées dans des activités dans les colonies israéliennes de Palestine occupée, une initiative saluée par la société civile palestinienne et l’ensemble des organisations de défense des droits de l’homme.
Dans le même temps, les gouvernements des États-Unis et d’Israël ont condamné ce geste après avoir exercé une incroyable pression pour l’empêcher. Un membre de la formation Bleu Blanc, Yoaz Hendel, a traité cette liste de « tâche éthique » sur les Nations Unies, rappelant aux électeurs israéliens que même le principal parti d’opposition n’empêchera pas l’annexion de facto de la Cisjordanie de devenir permanente.
Ces réponses polarisées dissimulent une réalité importante : les 112 entreprises de la liste ne représentent que la partie immergée de l’iceberg de la complicité avec l’occupation.
La publication de cette liste intervient après des années d’efforts pour juguler l’expansion des colonies israéliennes qui se poursuit malgré une violation patente du droit international, sans parler d’une multitude de violations des droits humains très bien documentées.
Des rapports onusiens similaires ont déjà été publiés sur des violations systématiques de droits de l’Homme au Myanmar ou en République démocratique du Congo – tous basés sur le seul et même principe que les acteurs économiques qui travaillent main dans la main avec les gouvernements en place doivent être tenus responsables en cas de violation du droit international.
Le premier pas à franchir pour stopper ces comportements illégaux est d’identifier ceux qui les perpétuent et leurs complices commerciaux. Or, les critères d’inclusion dans la base de données sont si étroits que bon nombre d’entreprises les plus délinquantes en sont manifestement absentes.
Le cas des fabricants de machines dans le domaine de la construction est un bon exemple : selon le rapport, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme applique son mandat de façon « restrictive » pour ne désigner que les entreprises impliquées dans la démolition d’habitation.
Or cette interprétation contredit la réalité juridique de ce qui se passe effectivement sur le terrain. Les entreprises représentatives de ce secteur ne spécifient aucune utilisation particulière quand elles vendent leurs équipements. La question qui doit leur être posée n’est pas celle de savoir si le bulldozer vendu servira à démolir une maison mais si l’entreprise est au courant que le bulldozer qu’elle vend pourrait servir à la démolition illégale de propriétés palestiniennes, tout en procédant à la vente malgré tout.
Cette interprétation restrictive explique pourquoi des entreprises comme Caterpillar, Volvo et CNH Industrial – dont les engins apparaissent régulièrement sur les vidéos de démolitions – ne figurent pas sur la liste de l’ONU.
Bien entendu, cette liste n’a jamais prétendue être exhaustive. Le bureau du Haut-Commissaire a reconnu dans son rapport que la base de données « ne prenait pas en compte toute l’activité commerciale liée aux colonies et ne s’étendait pas à l’activité commerciale au sens large dans les territoires palestiniens occupés qui pourrait soulever des questions de droits humains. »
Il note également avoir exclu les entreprises qui « avaient indiqué au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme n’être plus impliquées dans l’activité concernée », sans préciser quelles mesures avaient été prises pour garantir l’exactitude de leurs déclarations.
Ces limites sont exactement les raisons pour lesquelles se réjouir trop vite de la publication de cette base de données est dangereux.
Si elle est lue comme une recension complète du commerce illicite dans les territoires occupés, les centaines d’autres entreprises impliquées dans l’industrie des colonies, dans l’extraction de ressources naturelles ou dans d’autres activités illégales menées dans les TPO seront de fait acquittées de toute responsabilité.
Pourtant, ces activités ont été largement documentées par les centres de recherches israélien et britannique Who Profits et la fondation EIRIS, notamment. Who Profits explique par exemple, que « le cimentier allemand HeidelbergCement, qui exploite une carrière en Cisjordanie depuis 13ans » en violation du droit international, ne figure pas sur la liste.
Même si cette liste est régulièrement mise à jour et que les critères pour y figurer sont élargis, il faut veiller à ne pas la considérer comme un blanc-seing de toute complicité dans les colonies. La base de données est simplement une liste - tout au plus, un avertissement aux entreprises qui y figurent de la part d’un organisme qui n’a pas le pouvoir de prendre des décisions juridiques concernant leurs activités.
Elle restera un chien qui aboie mais ne mord pas à moins que des mesures ne soient prises pour punir et dissuader les entreprises de toute complicité de violations du droit international dans les territoires. Cela nécessitera que les États d’origine des entreprises incriminées garantissent une application rigoureuse des lois sur les activités illicites à l’étranger par le biais de réglementations, d’enquêtes et de sanctions - et, lorsque cela est justifié, en permettant aux victimes d’accéder à des recours juridiques.
Il y a une tendance évidente à tenir les multinationales responsables dans leurs pays d’origine pour des complicités établies à l’étranger : en France, une loi a récemment été votée – et les sanctions qui vont avec - pour imposer des obligations humanitaires strictes aux entreprises opérant à l’étranger ; en Grande-Bretagne, la Cour Suprême a accepté d’étendre l’interprétation de la responsabilité de ses entreprises à leurs filiales étrangères ; aux Pays-Bas, un des barons du bois a été condamné pour avoir vendu des armes qui ont été impliquées dans des crimes de guerre au Libéria.
Quelque soit le résultat des élections législatives en Israël, le prochain gouvernement continuera à renforcer l’annexion de fait des territoires palestiniens. La base de données de l’ONU est une tentative pour renverser le rapport de force mais elle reste incomplète et manque de mordant. L’occupation ne finira pas tant que l’écrasante majorité des pays ne considèrera pas les colonies comme illégales, tout en permettant à leurs entreprises de continuer à les soutenir impunément.
*Emily Schaeffer Omer-Man est une avocate israélienne, défenseure des droits de l’homme et habituée à plaider dans des dossiers de violations du droit international perpétrées par des Etats ou des acteurs commerciaux dans les territoires palestiniens.
Traduction AFPS